SANTE
Pourquoi faut-il manger BIO?
Faut-il abandonner l’agriculture conventionnelle pratiquée depuis des années au Sénégal pour une agriculture biologique ? Le débat est lancé et le coordonnateur de la Fédération nationale pour l’agriculture biologique (Fenab) a un avis tranché. Ibrahima Seck pense qu’il est grand temps de tourner le dos à une agriculture qui a fini de détériorer la santé de l’homme et celle de l’animal. Et gagner le pari de la souveraineté et de l’autosuffisance alimentaire.
« Nous avions enregistré certaines maladies graves auxquelles nous n’étions pas habitués et nous avions aussi remarqué la disparition des petits animaux sauvages qu’on rencontrait auparavant dans nos champs. Ce n’est que plus tard que nous avions pu mettre en évidence le fait que ces incidents étaient au moins en partie liés à l’utilisation intensive que nous faisions des produits chimiques dans l’agriculture », confiait Matar Ndoye, président de la Fédération des agropasteurs de Diender (Thiès), en 2015 à scidev.net. Ces constats faits par Matar Ndoye et ses camarades agriculteurs, dans les années 1990, en disent long sur le défi de l’heure : consommer des aliments biologiques pour préserver la santé de l’homme et de l’animal. Un cri du cœur bien perçu par certains, à l’image d’Ibrahima Seck, coordonnateur de la Fédération nationale pour l’agriculture biologique (Fenab).
Trouvé dans son champ maraîcher périurbain et de formation en agriculture biologique, Ibrahima Seck estime que l’heure a enfin sonné pour le Sénégal de tourner le dos à l’agriculture conventionnelle. C’est pourquoi il invite ses camarades agriculteurs à produire eux-mêmes les semences certifiées et sans engrais chimiques. ‘’Dans nos champs, nous avons un maïs bio qui se développe très rapidement, car nous avons ce qu’on appelle les sols champions. Ce sont des sols très fertiles, des sols avec un paillage de 6,5 à 7%. Dans ces terres, nous faisons uniquement de la culture biologique. Nous cultivons des tomates bio, des aubergines bio…, sans pesticides chimiques, ni engrais chimiques et ni herbicides’’, explique l’agriculteur biologique.
De l’avis d’Ibrahima Seck, le Sénégal peut atteindre la souveraineté alimentaire et l’autosuffisance alimentaire par le biais d’une ‘’agriculture propre, d’une agriculture de demain : l’agriculture biologique’’. Une agriculture qui, selon lui, participe en même temps à la lutte contre certaines maladies et les changements climatiques. ‘’Il y a une séquestration du carbone du sol et une limitation des gaz à effet de serre. Si on avait une culture de masse à grand échelle, le prix du carbone pourrait participer à la lutte contre les changements climatiques. Cela pourrait permettre aux populations d’accéder à des produits sains, très bons pour la santé et favoriser en même temps une bonne gestion des ressources naturelles’’, ajoute le coordonnateur de la Fenab.
Par ailleurs, Ibrahima Seck trouve qu’il appartient à l’État du Sénégal de venir en aide aux agriculteurs biologiques, en vue de promouvoir cette pratique culturale. ‘’Nous continuons à recevoir de la part des autorités un soutien verbal. C’est seulement sur le plan du discours qu’on nous soutient. Quand nous organisons un atelier, elles viennent et nous font un bon discours et ça s’arrête là. Il n’y a pas une volonté politique pour accompagner le développement de l’agriculture biologique au Sénégal’’, fustige-t-il. Et pourtant, révèle Ibrahima Seck, la subvention accordée à l’agriculture est ‘’très importante’’ dans ce pays. Elle tourne autour de 40 à 50 milliards de F Cfa, par an. ‘’L’État dépense beaucoup d’argent pour soutenir uniquement l’agriculture conventionnelle. Aujourd’hui, les agriculteurs biologiques ont besoin de bio pesticides, de bio fertilisants et semences biologiques pour mener à bien leurs activités. Mais jusqu’à présent, l’État du Sénégal ne nous appuie pas’’, s’offusque M. Seck.
La législation, le principal défi à relever
Les semences paysannes utilisées par Ibrahima Seck et ses camarades pour pratiquer une agriculture biologique ne sont pas reconnues par l’État du Sénégal. Dès lors, le patron de la Fédération nationale pour l’agriculture biologique indique que l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) doit se joindre à eux pour développer ensemble des semences biologiques. ‘’Nous avons des semences de légumes, de céréales, de maïs, de mil, etc. Mais ces semences ne sont pas reconnues par la législation sénégalaise, parce qu’il y a tout un processus pour les fabriquer. Ce n’est pas facile. Mon père était un agriculteur et réalisait lui-même ses semences et sélectionnait les meilleures. Aujourd’hui, la législation constitue un frein au développement de l’agriculture biologique’’, constate Ibrahima Seck.
Alors que, affirme-t-il, le développement du Sénégal passera forcément par ‘’notre identité culturelle, nos spiritualités, nos mœurs et coutumes’’. Aussi souligne-t-il que les connaissances endogènes constituent la base de l’agriculture enrichie, de nos jours, par les techniques et technologies modernes venant de la science. ‘’C’est cette combinaison de connaissances et de pratiques endogènes qui peuvent accélérer davantage le développement de l’agriculture biologique, qui est l’agriculture de demain et du futur.
Nous pensons que l’État va enfin comprendre et commencer à appuyer cette forme d’agriculture. Cette agriculture favorise une bonne santé des populations, de par les aliments sains qu’elle produit. Elle est différente de l’agriculture conventionnelle qui a fini de détruire notre population d’abeilles, d’oiseaux et d’agresser la biodiversité végétale et animale. Elle contribue également de 12 à 30% des émissions de gaz à effet de serre’’, renseigne Ibrahima Seck.
Au Sénégal, plus de 2 000 agriculteurs se sont regroupés dans différentes régions pour produire uniquement des produits biologiques. A travers cette initiative, les agriculteurs bio veulent assurer une ‘’alimentation saine, équilibrée et de meilleure qualité’’ aux populations. Apparue dans les années 1920 en Europe, notamment en Autriche, en Allemagne, en Suisse et en Angleterre, l’agriculture biologique n’a pas encore connu de profondes mutations au Sénégal. Avec un budget total du secteur agricole qui est passé de 136 milliards de F Cfa en 2010 à 264 milliards en 2014, les agriculteurs biologiques de la région de Thiès veulent que leur sous-secteur soit pris en compte. D’après Ibrahima Seck, cela pourrait les aider à produire suffisamment et à chaque fois que de besoin, pour nourrir leurs concitoyens.
GAUSTIN DIATTA (THIÈS)