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Réinventer l’évaluation des politiques publiques au Sénégal (Par Dr. Abdourahmane Ba)

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Le Sénégal, dans le cadre de sa Stratégie nationale de développement (SND) 2025-2029, se trouve à un tournant décisif où la réforme de l’évaluation des politiques publiques devient une priorité stratégique.

Bien que le cadre institutionnel existant offre une base importante, il est limité par des défis majeurs qui compromettent son efficacité et sa capacité à répondre aux exigences d’une gouvernance moderne et territorialisée. Les réformes proposées visent non seulement à surmonter ces défis, mais aussi à maximiser les avantages potentiels d’un système d’évaluation robuste et aligné sur les priorités nationales et internationales.

Un des principaux défis réside dans la fragmentation institutionnelle et le manque de coordination. Plusieurs entités, comme la Cour des comptes, l’Inspection Générale d’État (IGE), et la CESPPP, possèdent des mandats qui se chevauchent sans véritable mécanisme de collaboration efficace. Cette situation engendre des redondances, des incohérences et une dilution des responsabilités. La création d’un Conseil de l’évaluation des politiques publiques (CE2P) offrirait une solution structurante. Cet organe, indépendant et doté d’un mandat clair, harmoniserait les rôles et les responsabilités et garantirait une meilleure articulation entre le niveau central et les pôles territoriaux. L’avantage d’une telle structure réside dans sa capacité à renforcer la cohérence des politiques publiques et à optimiser l’utilisation des ressources.

Un autre défi est lié à l’absence d’une obligation légale contraignante pour l’évaluation systématique des politiques publiques. Bien que la réforme constitutionnelle de 2016 ait élargi les missions de l’Assemblée nationale en matière d’évaluation, les mécanismes actuels restent insuffisants. L’adoption d’une loi-cadre nationale permettrait d’institutionnaliser l’évaluation comme une exigence fondamentale, qui définit des étapes obligatoires, des méthodologies standardisées et des mécanismes de reddition de comptes. Cette réforme assurerait une discipline institutionnelle et renforcerait la transparence tout en offrant aux citoyens une visibilité accrue sur les résultats des politiques publiques.

La territorialisation de la SND met également en lumière la nécessité d’intégrer des outils modernes pour répondre aux spécificités des huit pôles régionaux identifiés. La collecte et l’analyse des données sont actuellement entravées par un manque d’infrastructures technologiques adaptées. L’introduction de systèmes d’information intégrés et interopérables faciliterait une collecte de données en temps réel, tout en permettant une analyse fine et contextuelle. Ces outils contribueraient à une meilleure prise de décision, basée sur des données probantes, et favoriseraient l’alignement des politiques nationales et régionales.

Le déficit de compétences techniques constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre efficace des évaluations. Les méthodologies modernes, telles que l’analyse coût-bénéfice, l’évaluation d’impact et les approches participatives, sont souvent peu maîtrisées par les agents publics. Ce défi peut être relevé grâce à des programmes de formation continue, soutenus par des partenariats avec des institutions académiques et des organisations internationales. La création d’une certification nationale en évaluation des politiques publiques encouragerait la professionnalisation du secteur et renforcerait les capacités locales. L’avantage d’une telle approche serait de garantir des analyses de qualité, adaptées aux enjeux spécifiques du Sénégal.

La coordination entre les niveaux régional et central reste un défi récurrent. Les politiques publiques, pour être efficaces, doivent être adaptées aux réalités locales tout en restant cohérentes avec les priorités nationales. La mise en place de comités régionaux de suivi et évaluation, connectés au Conseil de l’évaluation, permettrait de répondre à cette exigence. Ces comités offriraient une plateforme pour remonter les défis locaux et proposer des ajustements en temps réel. L’avantage de ce dispositif réside dans sa capacité à renforcer l’appropriation locale des politiques tout en améliorant leur pertinence et leur efficacité.

Le financement des évaluations pose également un défi significatif. Les ressources budgétaires allouées à ces activités restent souvent insuffisantes, ce qui limite la portée et la qualité des analyses. La diversification des sources de financement, par le biais de fonds souverains, de partenariats public-privé (PPP), et d’instruments innovants comme les obligations vertes, offrirait des solutions viables. En mobilisant également le financement international, des fonds additionnels pourraient être orientés vers des évaluations critiques, particulièrement dans des secteurs prioritaires. Ces mécanismes garantiraient la durabilité financière de la réforme et maximiseraient son impact.

L’équité et la durabilité des politiques publiques sont deux finalités essentielles que les réformes doivent viser. Les inégalités régionales et sociales doivent être systématiquement prises en compte dans les évaluations, avec des mécanismes de redistribution ciblés pour corriger les disparités identifiées. De plus, les audits post-évaluation et les analyses de viabilité financière doivent être intégrés dans les cadres d’évaluation pour assurer que les résultats des politiques se maintiennent sur le long terme. Cela garantirait non seulement une meilleure utilisation des ressources publiques, mais renforcerait également la confiance des citoyens dans les institutions.

La gestion des risques est un autre volet critique. Les politiques publiques sont exposées à des aléas économiques, climatiques et technologiques qui peuvent compromettre leur efficacité. L’intégration d’analyses probabilistes, telles que les simulations de Monte Carlo, dès la phase de conception des projets et programmes d’opérationnalisation des politiques, permettrait de mieux anticiper ces risques et de développer des stratégies d’atténuation. Cette approche renforcerait la résilience des politiques publiques et leur capacité à s’adapter aux changements.

Enfin, les réformes doivent s’aligner sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), qui offrent un cadre global pour orienter les politiques publiques vers un développement inclusif et durable. Les évaluations doivent mesurer la contribution des politiques aux ODD, tout en identifiant les écarts et les opportunités d’amélioration. Cet alignement renforcerait la cohérence stratégique des interventions publiques et leur impact sur le bien-être des populations.

Les défis de la réforme de l’évaluation des politiques publiques au Sénégal sont nombreux, mais les avantages à en tirer sont considérables. Un système d’évaluation modernisé, institutionnalisé et bien coordonné offrirait une meilleure visibilité sur les résultats des politiques, renforcerait la confiance des citoyens dans les institutions, et maximiserait l’impact des ressources publiques. Ces réformes, intégrées dans une vision territorialisée et durable, permettraient au Sénégal de se positionner comme un modèle de gouvernance efficace en Afrique. La finalité ultime est de garantir des politiques publiques équitables, pertinentes et résilientes, capables de répondre aux besoins des générations actuelles et futures.

Dr. Abdourahmane Ba
Ingénieur Statisticien, Docteur en Management
Président du Mouvement ESSOR (Engagement Solidaire pour un Sénégal Organisé et Résilient)

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